L'interview de Livia Meinzolt, par les Lectrices Charleston

    

Livia Meinzolt, lauréate du Prix du Livre Romantique 2019 avec son sublime roman Le Bruit des pages, a répondu aux questions des Lectrices Charleston.

La Russie a-t-elle une signification particulière pour vous ? Maud, du blog Les Tribulations d’une Maman Mammouth

En effet, j’ai toujours été fascinée et aimantée par la Russie, sans pour autant pouvoir me l’expliquer de manière rationnelle. C’est un pays tissé de contrastes, de paradoxes, d’extrêmes, mais d’une densité culturelle incomparable. J’aime l’âme de cette terre et de ses habitants, sa dureté, si douce pourtant, solide et forte, inébranlable. Il y a une profondeur qui m’a touchée, submergée, et je cherche encore des mots adéquats pour la définir. Je n’ai pas d’origines russes, rien qui ne m’y rattache personnellement, si ce n’est les amis que je m’y suis faits, et néanmoins je ressens un lien très fort avec ce pays. Il suffit d’ailleurs d’écouter comment Éva en parle pour comprendre mon point de vue ! Je me souviens encore de la première fois où j’ai rencontré un Russe. Je suis restée bouche bée à le dévisager comme un extraterrestre tombé du ciel ! Ensuite, j’ai rencontré un groupe d’artistes, des danseurs, des musiciens, des jongleurs de feu, nous sommes devenus très proches, et ça n’a pas pris longtemps avant que j’aille leur rendre visite à Saint-Pétersbourg, ville qui me faisait rêver depuis le visionnage frénétique d’Anastasia durant mon enfance. J’ai plus tard réalisé que ce dessin animé était un tissu de mensonges et d’anachronismes, mais il conserve néanmoins une place dans mon cœur et mon imaginaire. Quant à Saint-Pétersbourg, j’ai déploré l’absence de carrosses, mais cela ne m’a pas empêchée d’en tomber follement amoureuse et d’y retourner plusieurs fois à différentes saisons. Arpenter les rues de Saint-Pétersbourg sous la neige, en pleine nuit, est d’ailleurs l’un de mes plus merveilleux souvenirs de voyage. Toutefois, Saint-Pétersbourg ce n’est pas la Russie, et j’ai bien l’intention d’en découvrir davantage dans les prochaines années à venir !

   

Avez-vous été inspirée par un tableau, ou une autre œuvre, pour écrire ce roman ?Aurélie du blog Mon Jardin Littéraire

Beaucoup d’œuvres artistiques ont accompagné mon écriture, et la plupart d’entre elles apparaissent d’ailleurs au fil du roman. Chacune a eu une influence sur moi, à sa manière, apportant des réflexions qui parfois cheminaient vers une nouvelle idée, souvent bien éloignée de l’inspiration de départ ! En fait, elles étaient surtout des révélatrices, des confirmations ou des échos à mon propre processus créatif du moment. Durant ma période d’écriture, je n’ai quasiment écouté que de la musique classique datant d’avant 1916, principalement des compositeurs russes ou slaves, afin de m’imprégner pleinement de la culture musicale de cette époque et du pays. De même pour la littérature. Par exemple, Que Faire ? de Nicolaï Tchernychevski, qui occupe une place importante dans mon roman et dans la littérature russe, m’a complètement bouleversée. Non seulement pour sa profonde portée philosophique et sa qualité littéraire, mais aussi parce que sa résonance avec l’histoire du Bruit des pages est surprenante, bien qu’ils demeurent très différents. Ainsi, j’ai opéré une mise en abyme en l’entremêlant à mon intrigue, lui conférant le rôle à la fois pivot et catalyseur qu’il avait eu pour moi.

Pour ce qui est du tableau de la librairie, à part mon amour pour la peinture impressionniste, il n’y a aucune œuvre que j’ai pu voir dans ma vie ressemblant à celui peint dans mon esprit. D’ailleurs, je déplore mes maigres talents dans ce domaine, car je rêverais de pouvoir un jour le contempler sur une immense toile… Néanmoins, il y a une petite anecdote qui explique l’étincelle d’inspiration qui m’y a menée. J’étais plongée dans le roman depuis environ deux mois, et en allant acheter des ampoules, sur un portant près de la caisse, j’ai vu des cartes postales représentant des femmes en costume Arlésien par une artiste peintre du nom de Danielle Raspini. L’une d’elles, représentant une femme brune en costume ocre, de profil avec une ombrelle, m’a profondément marquée et émue. Cette peinture est bien différente de mon tableau, et pourtant c’est la nuit même qu’il m’est apparu.

   

La poésie fait partie intégrante de votre livre, pourquoi ce choix ?Elodie du blog Au Chapitre

Mon premier amour est la poésie, et je me sentirais orpheline sans elle, amputée d’une voix d’expression essentielle. Elle est venue naturellement s’immiscer entre les pages de Polina, elle s’est entremêlée aux pensées et aux élans des personnages et m’a donné des mots pour les exprimer. La poésie a quelque chose de pur et d’unique. À mes yeux, elle est la langue d’excellence des élans du cœur et de l’âme, dans tout ce qu’elle peut posséder d’à la fois simple et exalté, tranchant parfois, mais vrai et sans appel. En cela, la poésie russe me transporte plus qu’aucune autre, même si je ne la lis qu’en français, amputée d’une part d’elle-même… Comme Éva, j’aime déclamer à voix haute, souvent juste pour moi. Je les récite encore et encore, je m’imprègne de leur musique, de la puissance qu’ils me transmettent, et je m’en sers pour plonger dans mon propre imaginaire. La poésie éveille mon inspiration, elle attise mon désir d’écrire, me berce et me plonge dans un état second, hors du temps. Et combien de fois des mots m’ont semblé avoir été écrits pour répondre précisément à l’élan ou aux tourments qui m’habitaient à cet instant ? Des mots que j’ignorais chercher jusqu’à ce que je les entende… Pour le personnage d’Apollinariya, c’est le même processus qui se joue, elle entretient un dialogue émotionnel avec la poésie qu’elle lit. Et puis, quelle jeune femme amoureuse, ou jeune homme, tenant un journal intime, ne s’est pas un jour ou l’autre essayé à la poésie ? Cela me semblait naturel, et d’autant plus réaliste d’en insérer quelques-uns de sa plume.

  

J’aime beaucoup la construction de votre roman, comment avez-vous procédé dans l’écriture des histoires aux deux époques ?Michelle du blog A book is always a good idea

Merci, c’est un compliment qui me va droit au cœur ! La construction de l’intrigue est l’un des aspects qui me fascinent et me grisent le plus dans la création d’une œuvre. Pour écrire ces deux histoires à des époques différentes, j’ai avant tout cherché à ce qu’elles entrent en résonance, se répondent et se complètent. L’une ne va pas sans l’autre, elles avancent et s’articulent ensemble, c’est ainsi que je les ai conçues et que j’ai procédé pour les écrire. Parfois, je prenais de l’avance avec l’une, tout en sachant que le contenu serait remanié pour fusionner avec l’autre lorsqu’elles se rejoindraient. Mon meilleur ami dans ces moments, toujours à mes côtés, mon outil de travail indispensable, c’est mon carnet de bord. J’y note chaque idée, chaque piste possible, tout ce qui me vient à l’esprit, et ensuite je fais le tri. Cela me permet aussi de prendre du recul tout en examinant chaque détail afin que tout s’imbrique au mieux. Je revois les chronologies, je note des points que je dois approfondir ou améliorer, je note des pense-bêtes en majuscule pour bien penser à harmoniser tel détail sur tel personnage avec tel autre chose. Le travail de transition entre deux époques, chapitre après chapitre, demande une gymnastique constante qui me stimule. Cela laisse aussi le temps aux personnages de me manquer. Ainsi, je suis toujours heureuse de les retrouver, et quand je reviens vers eux mon regard est différent, plus objectif, et je peux remarquer des erreurs ou des incohérences qu’autrement je n’aurais pas vues, car trop immergée dans l’histoire.

   

On ne peut qu’admirer la construction de votre roman, une belle mise en abyme du travail d’écrivain. Est-ce une manière de parler de votre travail, de votre manière d’écrire ? – Laura du blog Devoratix Libri

Deux compliments sur la construction, je suis aux anges ! En effet, j’ai pris volontairement plaisir à jouer avec la mise en abyme de mon propre processus d’écriture à travers Éva et Apollinariya. Le personnage d’Éva est mon reflet à de nombreux niveaux. La trentaine d’onglets ouverts sur le navigateur, les livres qui s’empilent et débordent des étagères, toutes les recherches passionnées sur la Russie, l’amour des mots, l’envie de mettre mille citations incroyables, les moments d’épiphanie quasi hystérique, je vivais cela, et le distiller dans l’histoire me paraissait être la suite logique. Ainsi, je fais avancer mon personnage en symbiose avec moi, tandis qu’elle fait de même avec le personnage d’Apollinariya. J’avoue, j’ai bien rigolé toute seule parfois, en tricotant tout ça ! Comme elle je suis très solitaire et lorsque l’inspiration fuse dans tous les sens, j’ai besoin de m’isoler plusieurs semaines du monde extérieur pour pouvoir m’y immerger pleinement. J’aime et me nourris de ces moments d’intimité avec mon imaginaire, et à mes yeux lorsque nous écrivons, nous ne sommes jamais seuls, bien au contraire. Je passe une grande part de mon temps de conception et de création à méditer, autre habitude que j’ai prêtée à Éva, et j’y puise énormément. Je me prépare un coin douillet, un fond musical en accord avec mon besoin du moment, carnet et ordinateur à portée de main. Parfois dans mon lit, mon canapé, ou encore dans un parc, dans la nature, peu importe tant que suis confortablement installée (sans oublier une immense théière de thé) et je me laisse glisser dans une sorte de demi-sommeil où j’invite l’histoire et les personnages à me rejoindre. Avec eux, j’explore différents possibles de l’intrigue, je les place dans diverses situations et j’imagine leurs réactions, leurs émotions, leurs pensées. En somme, j’apprends à les connaître en tant que personne, non comme des êtres de papier. Ils deviennent mes amis, ma famille, comme c’est le cas pour beaucoup d’écrivains, et c’est justement ce même transfert qui s’opère chez Éva, qui à son tour commence à assimiler ses personnages à de vraies personnes.

   

Croyez-vous aux âmes sœurs ? – Alexandra, du blog La bibliothèque des rêves

À ma manière ! Disons que je n’associe pas, ou plus, la notion d’âme sœur avec une relation de couple comme on l’entend la majorité du temps. Je conçois réellement les âmes sœurs au pluriel, comme des personnes que l’on rencontre au court de notre existence et avec qui il y a un lien puissant qui se crée aussitôt, une évidence, un miroir qui nous permet aussi d’avancer et de nous découvrir, de partager un amour mutuel, mais pas pour autant amoureux ou aboutissant à une relation. Un ou une amie peut être une âme sœur à mes yeux. Certes, il y a des personnes qui se rencontrent et s’aiment jusqu’à la fin de leurs jours, elles semblent destinées à être ensemble, et peut-être que c’est le cas, mais de là à considérer que chacun a une moitié jumelle quelque part dans le monde, malgré mon âme romantique, je suis sceptique. Mais, enfin, qui sait !

   

Pourquoi avoir choisi ce style de narration ? – Marie, du blog Marie à tout prix happy :

L’alternance narrative entre le présent d’Éva, pendant qu’elle écrit le journal intime d’Apollinariya, et les plongées à l’intérieur dudit journal, n’était pas vraiment un choix, plutôt une évidence. D’autres paramètres ont été moins faciles à déterminer, comme l’articulation des trois parties qui structurent aujourd’hui le roman. J’ai opté pour cette configuration après de nombreux essais et remaniements, qui à chaque fois ne me satisfaisaient pas. Certaines choses sont des évidences, comme les prénoms d’Éva et Apollinariya par exemple, tandis que d’autres mettent des mois avant de trouver leur forme définitive. En tout cas, une chose était fondamentale à mes yeux : les chapitres présent et passé devaient se répondre comme un dialogue. Espérons que l’effet est réussi !

    

Quelle est l’œuvre qui vous a émue le plus ? – Elodie, du blog Eliot et des livres

La question impossible, il y en a tellement ! Néanmoins, j’y ai bien réfléchi depuis hier et, puisque l’on parle du Bruit des pages, je vais rester dans les ouvrages qui m’ont accompagnée, et les Œuvres poétiques de Mikhaïl Lermontov ne m’ont pas quittée, et m’on fait verser bien des larmes d’émotion. J’ai ressenti d’ailleurs un sentiment similaire avec la poésie d’Akhmatova, qui me bouleverse encore à chaque lecture. Je parle beaucoup dans le roman de l’émotion ressentie par Éva pour la littérature et la poésie, et à vrai dire je suis tout autant sensible qu’elle, bien que difficile aussi, et je peux parfois être émue aux larmes par une phrase, une tournure, un mot, un geste parfaitement décrit ou un dialogue percutant. Je pense d’ailleurs que pour chaque livre que j’ai réellement aimé et que je porte dans mon cœur j’ai versé au moins une larme. De tristesse, de joie, de rage ou de compassion, qu’importe, mais si le livre ne m’a pas ému, il y a peu de chance qu’il me laisse une trace…

    

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