Interview de Sue Townsend, par les Lectrices Charleston

Sue Townsend - (12004 credit Niall McDermid

Avec La femme qui décida de passer une année au lit, vous avez (re)découvert Sue Townsend, romancière-culte à l’humour ravageur. Son regard sur l’absurdité de la vie dans les banlieues résidentielles, sa tendresse pour les outsiders, et sa réflexion sur le sens de la vie n’ont pas laissé de marbre nos Lectrices Charleston. Voici leurs nombreuses questionsEntrez dans le monde de Sue Townsend !

Comment vous est venue l’idée d’Eva et de son histoire ? Vous êtes-vous inspirée d’une femme en particulier pour ce personnage?
En 1972, j’étais une mère célibataire avec trois enfants de moins de cinq ans à la maison. J’avais trois jobs à temps partiel et je n’avais jamais un moment de solitude. Une personne mal intentionnée avait offert des instruments de musique à mes enfants pour Noël, dont un tambour et une trompette.
Je me surprenais parfois à rêver que l’on m’avait envoyée en prison pour avoir commis une infraction mineure mais qui aurait été motivée par mes principes. Dans mon imagination, ma cellule était peinte en blanc et je me voyais seule dans cette cellule austère avec seulement des livres de la bibliothèque, des cigarettes et un cendrier de la prison. Cette cellule blanche est la première image qui m’est venue en tête quand j’ai commencé à écrire ce livre.

On pourrait croire que ce roman est profondément féministe. Etait-ce votre intention de départ ? En écrivant cette histoire, pensiez-vous avant tout à faire rire ou à faire réfléchir sur le mal être d’Eve? Est-ce qu’Eva est pour vous le symbole d’une génération de femmes qui ont la cinquantaine en Angleterre aujourd’hui?
Tout ce que j’écris vient d’un point de vue féministe. Je n’ai jamais eu peur d’employer le mot « féministe » ou « féminisme ». Je crois qu’Eva représente les femmes anglaises modernes, ce qui est la raison pour laquelle la moitié des mariages se solde par un divorce.
J’essaie toujours de faire rire mes lecteurs, mais aussi de les faire réfléchir.

La fin est tendre et émouvante et détonne avec le reste du livre. La satire est terminée, les masques tombent. Pourquoi avoir décidé d’une fin aux antipodes du reste du roman? Saviez-vous dès le début de l’écriture du roman la fin de votre livre ou est-ce l’histoire qui a imposé sa propre fin?
C’est l’intrigue qui a créé sa propre fin, même si je savais que je voulais que le mot « bienveillance» soit le dernier mot. La bienveillance est la qualité à laquelle j’accorde le plus d’importance.

Est-ce que Eva, c’est vous ?
Ma sixième petite-fille est née juste avant que je ne commence à écrire ce livre. Elle s’appelle Eva. J’aime ce nom parce qu’Eve était la première femme dont on connaît l’existence, même si elle n’est certainement pas née de la côte d’un homme.
Eva est l’essence de chaque femme que j’aie rencontrée ou dont j’ai entendu parler dans un livre. Je vénère les femmes et ne comprends pas pourquoi nous ne contrôlons pas le monde.

Aimeriez-vous passer quelques jours au lit ? Que feriez-vous ?
J’adorerais passer des années au lit. Je regarderais des émissions débiles à la télévision, j’écouterais de la musique en mangeant des chips et des pommes et ma porte serait ouverte tous les soirs à six heures pour quiconque aurait envie de me rendre visite.

Nous, en tout cas, on passe notre 8 mars au lit !

Votre écriture est très « british ». Il y a ce mélange d’humour féroce, de satyre sociale et de cocasserie que les Anglais maitrisent à la perfection. D’où vient ce cocktail si réussi? Les Anglais sont-ils les seuls à écrire comme cela?
Je crois qu’un écrivain russe aurait pu écrire ce livre, c’est d’ailleurs le cas. Oblomov reste au lit pendant que tout son monde et ses propriétés s’écroulent autour de lui. Il y reste jusqu’aux cinquante dernières pages du roman de Gontcharov, quand il s’installe sur une chaise.
Les Anglais utilisent la satire comme une forme de révolution lâche. Nous aimons nous moquer de nos décideurs, qu’ils soient politiques, culturels ou familiaux.

Si une adaptation cinématographique de votre livre devait se faire, quelle actrice aimeriez-vous voir incarner Eva ?
Une jeune Mia Farrow.

Comment avez-vous réagi quand vous avez su que votre roman paraîtrait en France ?
J’étais ravie. J’adore la France. Dans le roman, j’envoie Eva vivre en France où elle attire et fascine un homme intelligent et fortuné. Ce retour en arrière sur cette période de sa vie révolue a une importance capitale.

Quels sont les auteurs qui vous inspirent le plus ?
Dans un ordre plus ou moins chronologique :
Richmal Crompton, Charlotte Brontë, Alfred E. Nuemann (Mad Comic), Harriet Beecher Stowe, Mark Twain, Dickens, George Elliot, Oscar Wilde, Chekhov, Dostoïevski, Tolstoï, Kingsley Amis, Evelyn Waugh, George Orwell, Stella Gibbons, Iris Murdoch, Flaubert, John Updike, Richard North.

Vous vous illustrez aussi bien avec des romans jeunesse qu’avec des romans grand public. Quel registre vous plaît le mieux et auquel destinez-vous votre prochain roman ?
J’écris toujours pour un public adulte en espérant que des plus jeunes les liront aussi.

Étant donnée le dénouement de La femme qui décida de passer une année au lit, peut-on espérer une suite aux aventures d’Ève et de tous les autres personnages ?
Je ne prévois pas de faire revivre Eva, elle a fait son travail.


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