L'interview d'un apiculteur, par les Lectrices Charleston
Dans le roman de Santa Montefiore La fille qui aimait les abeilles, Grace la mère de Trixie, voue une passion dévorante aux abeilles. Notamment grâce à son père qui était lui-même apiculteur. Les Lectrices Charleston ont pu poser des questions à Pierre Filet, un apiculteur de Franche-Comté. Découvrez sans plus attendre ses réponses… et de très belles photos !
Comment fait-on du bon miel ? (J’en salive d’avance) Quelle est la durée de vie d’une abeille ? Pourquoi les abeilles piquent-elles ?
Comment fait-on du bon miel ? il faut déjà savoir qu’il y a de nombreuses variétés de miel, dont certaines sont très différentes les unes des autres. Entre un miel crémeux de printemps, très doux, et un miel de sapin, liquide et fort en goût, il y a de grandes différences, certains peuvent en adorer l’un, et ne pas apprécier l’autre. Dans le miel, c’est l’abeille qui fait tout. Les miels qui sont vendus par les petits apiculteurs sont vendus « tels quels ». Le travail de l’apiculteur consiste juste à l’extraire mécaniquement des alvéoles, à le laisser reposer pour ôter les impuretés liées à l’extraction (petites particules de cire, etc…). Le miel est conçu pour se conserver naturellement, il n’y a donc pas d’ajout de produits, etc… c’est l’un des rares produits alimentaires dans ce cas.
Les abeilles d’été vivent 5 à 6 semaines, pendant lesquelles elles sont très actives. Au fil de leur existence, les ouvrières remplissent successivement plusieurs tâches : nettoyage des alvéoles, alimentation du couvin, gardiennage, butinage, etc… Les abeilles d’hiver vivent jusqu’à 5 à 6 mois. Ce sont elles qui maintiennent la colonie en vie pendant les mois froids, sans sortir, et en puisant dans les réserves de la ruche. Quand le printemps revient, elles contribuent à nourrir les premiers couvains avant de mourir. La reine elle peut vivre jusqu’à 4 à 5 ans.
Les abeilles piquent uniquement pour se défendre des prédateurs, pour protéger la colonie et par-dessus tout pour défendre leurs réserves, c’est-à-dire leur miel amassé pour l’hiver. Plus les réserves sont maigres, plus les abeilles seront agressives. A l’inverse, une abeille qui ne ressent pas le danger ne pique pas. Par exemple, lors de l’essaimage (lorsqu’une partie des abeilles quitte la ruche pour construire une autre colonie, on voit parfois des « grappes » pendues aux arbres) les abeilles se gorgent de miel pour pourvoir survivre plusieurs jours. Elles ne sont pas en danger, et donc ne piquent pas les apiculteurs dont certains (pas moi !) vont récolter les essaims à mains nues, sans protection.
Comment faire pour que les abeilles soient plus nombreuses aujourd’hui ? À petite échelle est-ce que nous les particuliers pouvons faire quelque chose ?
Chacun d’entre nous doit d’abord se dire qu’une abeille n’est pas dangereuse si on ne l’attaque pas, et qu’il n’est donc pas urgent de l’écrabouiller lorsqu’on l’aperçoit !
Chacun peut aussi être amené à rencontrer des abeilles, en particulier au moment de l’essaimage : elles se déplacent en nuage bruyant, peuvent se poser en grappe sur une branche, ou élire domicile dans un mur, dans un trou, sous des tuiles. Bien sûr elles peuvent paraître gênante ! Il faut alors appeler un apiculteur dans l’entourage : il viendra récupérer les abeilles, pour vous en débarrasser et les installer en lieu sûr. Il faut donc à tout prix éviter les solutions radicales comme les bombes d’insecticides !
Pour les aider, vous pouvez favoriser leur alimentation : planter des fleurs mellifères (la Facélie, la lavande, etc…), ne pas utiliser de produits chimiques sur les plantes, planter des arbres (tilleuls, acacias, etc…).
Je suis vegan et j’ai, par conséquent, banni le miel de mes habitudes alimentaires. Les raisons qui m’ont décidée à cela c’est l’exploitation des animaux mais aussi le gazage qui ne seraient pas sans conséquences notamment au niveau du stress engagé. Que pourriez-vous me répondre à cela ? La récolte du miel est-elle vraiment éthique ? Est-il vrai que, parfois, certains apiculteurs récoltent plus que ce qu’ils devraient, appauvrissant ainsi la ruche ?
Je serai parfaitement honnête : au départ une colonie de ruche produit du miel pour sa propre consommation, et pas pour l’homme ! C’est d’ailleurs pour cela qu’on peut « abandonner » une ruche pendant plusieurs années (parce qu’on n’a pas le temps ou l’envie de s’en occuper) : elle continuera de vivre, de se développer.
Mais l’abeille est généreuse ! Depuis la nuit des temps, l’homme sait qu’il peut prélever une partie raisonnable du miel, dont l’abeille n’aura pas besoin pour assurer sa survie. Dans les méthodes de production actuelle, on distingue 2 parties dans la ruche : le corps de ruche : c’est là que les abeilles installent la colonie, qu’elles pondent et élèvent le couvain. Sur les côtés du corps de la ruche, les abeilles font des réserves de miel sur plusieurs cadres (c’est un bâti en bois, avec une feuille de cire sur laquelle les abeilles construisent les alvéoles). Ces réserves correspondent au besoin pour la survie de la colonie. Le corps de la ruche appartient à l’abeille, et on ne prélève pas de miel dedans, c’est sa part.
Lorsque l’apiculteur constate au printemps que ces réserves augmentent vite, il ajoute alors une hausse : c’est comme un corps, souvent plus petit, disposé au-dessus de la ruche. Lorsque les abeilles (qui font leurs réserves depuis le bas vers le haut) ont rempli le corps, alors elles vont remplir la hausse ; C’est cette partie que l’apiculteur peut récolter. Cela ne met pas en péril la colonie. Bien sûr, quelques-uns, qui veulent faire plus de profit, vont prendre du miel dans le corps (et parfois compenser avec des produits moins bons). Mais ils sont peu nombreux : un apiculteur qui met ses ruches en péril perd tout !
Les visites et le prélèvement du miel sont certainement des épisodes dérangeants pour la colonie (un peu comme quand des abeilles viennent en grappe visiter notre réserve de nourriture, ou perturber notre sieste : on est agacés !). Cela peut provoquer de l’excitation de la colonie et engendrer quelques piqûres sur l’apiculteur… La fumée (tout le monde a en tête l’image de l’apiculteur muni de son enfumoir, avec un soufflet qui permet de dégager de la fumée) calme la colonie. On utilise normalement des produits sains pour cette fumée (copeaux, pives de pain, foin, granulés à base de végétaux), et ils ne doivent pas nuire à la colonie. De plus, l’usage excessif de fumée donne un mauvais goût au miel. Les apiculteurs sont donc naturellement tenus à une utilisation raisonnable.
J’ai également entendu parler d’un nouveau mode d’abstraction qui se ferait sans stresser la ruche et prélèverait ainsi uniquement l’excédent, qu’en pensez-vous ?
J’ai vu un procédé tel que celui-là : il reposait sur un mécanisme qui « broie » les alvéoles, pour laisser le miel couler. Il est récupéré directement dans la ruche. Mais il détruit l’architecture complexe des alvéoles qui est un gros travail pour les abeilles. Je ne suis pas certain que ce soit moins traumatisant ! La méthode habituelle permet bien de ne prendre que l’excédent !
Quelle est la différence entre les miels solides et les miels liquides ? Combien de temps faut-il à une abeille pour créer du miel ? Une ruche classique produit environ combien de pots de miel par année ?
Le miel solide et le miel liquide sont les mêmes miels, mais à différentes étapes de leur conservation. Au départ tous les miels sont liquides. En vieillissant, suivant les fleurs les plus présentes, il se cristallise. Cela peut prendre quelques jours (pour le miel de printemps, le miel contenant beaucoup de colza) à plusieurs mois (le miel d’acacia cristallise très peu).
Pour fabriquer le miel, les butineuses se promènent de fleur en fleur et collectent principalement le nectar produit par les fleurs, une substance très chargée en sucre. De retour à la ruche, elles le confient immédiatement aux plus jeunes abeilles qui l’échange plusieurs fois, le chargent d’enzymes, et le déposent dans les alvéoles. Ce produit contient plus de 50% d’eau. En quelques jours, le miel est asséché (par les ventileuses qui créent un courant d’air dans la ruche). Quand il est prêt à être conservé, les abeilles posent un opercule de cire sur l’alvéole. Il pourra rester ainsi à disposition plusieurs années pour la colonie, sans s’abimer.
Une ruche peut produire de zéro à… plus de 100 kilos par an. Cela dépend de beaucoup de choses : la richesse et la variété des fleurs, la météo (la floraison d’un acacia ne dure que 2-3 jours. S’il pleut ces 2-3 jours là, cette miellée est perdue), la race d’abeilles, l’essaimage, etc… Au printemps, s’il fait beau temps pendant la semaine de floraison des tilleuls, une ruche peut produire 20-30 kilos en 4 à 5 jours. Mais d’une année sur l’autre, le rendement d’une ruche peut être radicalement différent.
Le plus de l’apiculteur et son expérience :
Je crois que tous les apiculteurs sont viscéralement attachés à leurs abeilles, et ils cultivent leur cheptel avec beaucoup de soin et d’amour. Les premières abeilles que j’ai eues m’ont été transmises par mon grand oncle, quand il a été trop âgé pour s’en occuper. Je ne m’y étais jamais intéressé. J’ai vu beaucoup d’émotion dans ses yeux quand il m’a dit « j’aimerais te donner mes ruches » et j’en ai été très touché. Alors depuis je m’en occupe, et je suis devenu accro !
On raconte toutes sortes de choses sur le rapport entre les apiculteurs et leurs abeilles. Par exemple qu’elles nous reconnaissent. Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment vérifié, mais les fois où je me suis fait le plus piqué, c’est lorsque j’amenais quelqu’un de nouveau avec moi. On dit aussi qu’à la mort de l’apiculteur, les abeilles quittent la ruche si on ne met pas un crêpe noir autour de la ruche. Ma grand-mère racontait qu’à l’instant de la mort de son père, qui avait quelques ruches comme tous les paysans, elle a vu l’essaim partir et se réfugier dans le clocher de l’église du village.
Vérité ou pas, en tout cas cela montre que l’homme vit avec les abeilles une histoire intense, millénaire. Achetez vos miels le plus possible en direct chez l’apiculteur, ou sur les marchés, et prenez le temps de parler, ils auront beaucoup de choses à vous raconter.
Merci à Pierre Filet ainsi qu’aux Lectrices Charleston pour cette interview !