L'interview de Marlène Jobert sur Trois filles et leurs mères
À l’occasion de la sortie de son autobiographie passionnante Les baisers du soleil (Plon), et parce qu’elle a aimé notre livre Trois filles et leurs mères, Marlène Jobert nous a fait l’honneur de nous accorder cet entretien. L’occasion de revenir sur ses relations avec sa propre mère… et avec ses filles.
Vous qui êtes la maman d’Eva Green et Joy, comment qualifieriez-vous les relations mère-fille ? Sont-elles forcément fusionnelles ? Avez-vous été une « hyper mère » ?
Je suis une mère fusionnelle, je le confesse ! J’ai toujours eu du mal à quitter Eva et Joy. Je partais pour les tournages avec des semelles de plomb ! Le jour où j’ai décidé d’arrêter ma carrière d’actrice, ce jour-là Eva et Joy m’avaient emprisonnée dans leurs petits bras pour m’empêcher de partir… Arrivée en bas de l’immeuble, je suis remontée leur dire que le film que je tournais serait le dernier. Et j’ai tenu parole. Il y a une proximité physique indéniable entre mère et fille…Probablement plus qu’avec un garçon.
De quelle mère « la Moum », votre maman chérie se rapprochait-elle le plus ? Est-ce de Sido, la mère de Colette, mère fusionnelle, gourmande de la vie ? Marie Donnadieu, ambivalente, folle de sa fille, mais maltraitante par moments ? Ou Françoise de Beauvoir, hyper autoritaire ?
Ma « Moum », si mignonne, avec ses yeux clairs, son petit nez et ses rondeurs, me fait penser tout à fait à Sido, la mère de Colette. Gourmande de la vie ? Oui, elle l’était, ô combien ! Elle démarrait des régimes amincissants qu’elle ne poursuivait jamais ! Je la retrouvais dans la cuisine, picorant dans les plats, en maugréant : « Ronde je suis, ronde je resterai ! ». Mais la grande différence avec Sido, c’est que ma « Moum » ne me prenait jamais dans ses bras. Comme ils m’ont manqué, ses bras…Mon père, « le poup », qui venait de l’assistance publique, était beaucoup plus autoritaire, et usait du martinet- tout comme Marie Donnadieu faisait avec la petite Marguerite Duras…Cela, ça m’a parlé, dans ce livre ! Pour autant, jamais ma Moum n’aurait levé la main sur moi. Dans tous les sens du terme, puisque ce qui m’a vraiment manqué, c’est qu’elle ne m’a jamais prise dans ses bras.
Quel souvenir gardez-vous d’elle ?
Le souvenir de grands éclats de rire ensemble… Le souvenir de son petit chapeau de feutre gris qu’elle ne quittait jamais, et avec lequel elle faisait « sa mignonne ». Le souvenir de l’avoir vue tout à fait catastrophée quand je lui ai annoncé que je voulais devenir comédienne. À ses yeux, les « belles carrières » étaient le fait des gens « bien nés ». Si je lui avais annoncé que j’aurais voulu être prostituée, ou astronaute, elle ne l’aurait pas pris autrement !
De quelle fille, vous, Marlène, êtes-vous le plus proche ? Est-ce de Colette, Duras, ou de Simone de Beauvoir, qui a lutté bec et ongles pour conquérir sa propre liberté ?
Je me suis retrouvée un peu dans les trois ! Avec Duras, comme je l’écris dans mon livre, je partage le souvenir d’une enfance marquée par une relative pauvreté sans jamais être misérable. Je suis toujours économe, même si je ne planque pas mes billets sous mon matelas ou ne me fabrique pas mes vêtements comme Marguerite Duras le faisait ! Je me sens assez proche de Colette, touche-à-tout, elle qui a été écrivain, journaliste, danseuse… J’ai hésité entre les Arts Déco et ma carrière de comédienne, pour ensuite comme vous le savez écrire pour les enfants. Et, enfin, je me suis reconnue aussi dans le personnage de Simone de Beauvoir, en particulier pour cet énorme appétit de liberté. Quand elle arrive à Paris, à 19 ans, dans son appartement, libre comme l’air, et loin du regard maternel qui la surveillait… J’avais l’impression de me revoir, moi, à 17 ans, à Dijon, quand toute la famille a accompagné mon père militaire muté à Madagascar. Et que j’ai respiré enfin, loin des interdits ! C’est alors que ma vie a commencé…
Quelle histoire dans ce triptyque vous a le plus émue ? Quels moments du livre avez-vous préférés ?
J’ai dévoré ce triptyque biographique écrit avec tant de sensibilité. J’ai été particulièrement émue par ces petites filles, parfois mal aimées par leurs parents. Quel étonnement, pour moi, auteure pour les enfants, de lire que Colette n’avait pas droit de lire des contes de fées- mais rien que de la littérature adulte ! Quelle surprise de découvrir que la petite Simone de Beauvoir avait été surveillée par une mère intransigeante, qui la chaperonnait encore pour l’accompagner au lycée et lui interdisait de fermer la porte de sa chambre ! Ce qui m’a particulièrement émue, ce sont les scènes où les filles accompagnent leurs mères sur leur chemin de la vieillesse. Ce moment où les rôles s’inversent, où l’on devient la mère de sa propre mère… Quand Duras fait des kilomètres pour préparer le repas de sa mère, quand Simone de Beauvoir, à l’hôpital, se retrouve face à une mère redevenue petite fille… J’ai parcouru le même chemin avec ma « Moum ». Quand elle s’est retrouvée dans une maison médicalisée, je venais lui apporter des babas au rhum, j’essayais de lui transmettre ma gaieté, je la serrais dans mes bras, lui racontais des histoires, comme à une petite fille. Il m’est même arrivé de dormir avec elle dans son lit. Alors, là, oui, je me suis tout à fait retrouvée dans ces Trois filles et leurs mères…
Un grand merci à Marlène Jobert et à Sophie Carquain pour cette interview !