Lumière sur... la traductrice de lait et miel !
Sabine Rolland est la traductrice du merveilleux recueil de poèmes lait et miel de Rupi Kaur. C’est grâce à sa traduction que vous pouvez apprécier les mots et les émotions de la poétesse ! Sabine Rolland a bien voulu pour les éditions Charleston se livrer sur son travail et son expérience. Parce que traduire des poèmes n’est pas la même chose que traduire une histoire !
Traduire milk and honey de Rupi Kaur fut une belle gorgée de lait pour moi : la traduction a coulé doucement, tout naturellement, dans mon gosier, et m’a nourrie. Elle a coulé de source. L’inspiration s’est posée sur moi comme l’abeille sur la fleur, et en l’espace de quelques soirées, il en est sorti ce nectar : lait et miel.
Pour être très sincère avec vous, je n’ai pas éprouvé de difficulté majeure à traduire ce petit joyau. Ce fut plutôt un vrai plaisir ! Et si ce fut cette gorgée de lait dont je vous parle, c’est tout simplement parce que Rupi Kaur écrit merveilleusement bien. Quand la poétesse possède une belle plume, elle facilite grandement la tâche de la traductrice. De plus, l’absence de rimes a également facilité mon travail.
Pourtant, ce fut une expérience inédite pour moi : c’est la première fois que je traduisais de la poésie ! Et je suis prête à recommencer dès demain tellement l’expérience fut agréable. Au début, je me demandais si j’allais en être capable (comme toujours !), mais j’étais ravie qu’on me propose cet exercice inhabituel qui réclame, je pense, non seulement des compétences linguistiques, mais aussi et surtout une sensibilité littéraire et presque artistique, car la poésie est un art. En poésie, plus que dans tout autre domaine, il faut sentir le texte, sentir ce qui est caché derrière, s’immerger dans l’univers de l’auteur.
Ce recueil est une vibration féminine ultra-sensible. Personnellement, j’ai d’abord été très sensible au graphisme, au rythme entre les blancs et les noirs, entre les lettres, les traits de stylo et le blanc du papier. J’ai été sensible au rapport entre la matière et le vide. C’est un petit livre d’une beauté épurée, dépouillée dans son manteau noir et blanc. Pour moi, le texte et les dessins formaient un tout. Sincèrement, je crois que je n’aurais pas accroché autant si chaque poème n’avait pas été accompagné de petits dessins au trait d’une délicatesse infinie qui illustraient avec une pertinence inouïe le ressenti de Rupi. Les dessins m’ont portée autant que les mots. J’ai été particulièrement fascinée par la page 13 du livre : le dessin du sexe féminin rempli de mots. Comme si les mots sortaient de l’origine du monde ! En traduisant cette page, je m’imaginais ce que Rupi avait pu subir et, à travers elle, d’autres femmes… J’ai essayé de choisir des mots permettant une mise en page symétrique – croissance, puis décroissance du texte, un peu comme la pulsation du sexe qui s’ouvre et se ferme, en rythme… La page 15 m’a beaucoup émue également. Le dessin de cette petite fille… si l’on regarde attentivement la main de l’homme, elle ressemble à une pince, à un crochet ; elle agrippe.
Je dois dire que ce travail – qui n’en a pas été vraiment un – m’a changé de la traduction de livres de développement personnel – un domaine qui me passionne également.
En réalité, ce que j’aime par-dessus tout dans ce métier de traductrice, c’est la diversité des sujets abordés. Je traduis dans les domaines les plus variés (outre le développement personnel, j’aborde l’art – les beaux-arts notamment –, la santé, le management, les animaux, la nature, etc.).
Je suis devenue traductrice parce que j’aime les langues. Mon bac en poche, j’ai hésité entre m’inscrire à la fac pour les étudier (l’allemand et l’anglais) et m’inscrire dans une école d’arts appliqués. J’ai opté pour les langues, me disant que je pourrais toujours assouvir ma passion pour l’art à mes moments perdus. J’ai obtenu une licence de LEA (Langues Étrangères Appliquées) à la Sorbonne Nouvelle, à Paris, puis j’ai passé le concours de l’ESIT (École Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs), l’une des meilleures écoles françaises – et même européennes –, et obtenu mon diplôme de traductrice trois ans après. Il est important de dire que la traduction, ça s’apprend. C’est un vrai métier qui réclame une réelle compétence professionnelle. Cependant, comme dans tout métier, il ne suffit pas d’acquérir un savoir et un savoir-faire ; il y a une part qui ne s’apprend pas, un « talent » inné, si l’on peut dire en toute humilité, un feeling. La langue, ça se sent, et encore plus la poésie. J’ai tout de suite voulu travailler dans l’édition car c’était l’amour des livres qui me motivait et ce que je voulais traduire (mon vœu est exaucé !).
J’ai un rapport aux langues assez particulier. J’ai toujours été attirée par les langues, mais pas pour les parler car j’étais extrêmement timide (et le suis toujours, même si j’ai fait des progrès). Non, pour le plaisir de manier la langue, de travailler sur et avec les mots, les phrases, le sens. Et parce qu’en traduisant je me sens créatrice. Certes, c’est l’auteur qui est le vrai créateur, mais le traducteur est créateur lui aussi dans le sens où il ré-exprime, avec ses choix de mots, de phrases et de tournures, ce que l’auteur a écrit. Et il a une grande liberté dans la réexpression. On peut dire la même chose de mille et une manière. Une règle d’or dans la traduction : ni trop coller au texte, ni trop s’en éloigner. Enfin, j’aime la traduction pour le service que je rends aux lecteurs français en jouant le rôle de messagère de la parole de l’auteur. En ce sens, on peut dire que le traducteur est un passeur.
Un traducteur traduit toujours vers sa langue maternelle – le français pour moi – car il en maîtrise toutes les subtilités.
Je vais vous confier un secret : si j’ai tellement aimé traduire milk and honey, et si j’avais cette impression quasi magique que mes mots coulaient avec fluidité, c’est parce que… j’écris moi-même de la poésie, et depuis longtemps. J’ai commencé, comme tous les ados, à ressentir ce besoin d’exprimer mon monde intérieur, mes sentiments, mes émotions, mes doutes, mes souffrances, mes questionnements vers 15 ans… j’ai écrit pas mal de poèmes entre 15 et 25 ans. Et puis ma source s’est provisoirement tarie au début de ma vie professionnelle. Je n’ai plus écrit de poèmes pendant 10 ans environ. Je n’en ressentais plus le besoin. Et puis vers 37 ans, j’ai replongé dans une période d’écriture intense, de dessin et de peinture également, parallèlement à mon métier. D’autres sources d’inspiration sont arrivées au fil des expériences de la vie. La quarantaine, pour moi, fut un jaillissement créatif qui m’a apporté mes plus grandes joies ! Et entre 40 et 45 ans, je n’ai pas cessé d’expérimenter le dessin, la peinture, l’écriture de poésie (et même de nouvelles !). Aujourd’hui, à 45 ans, je continue de traduire des livres, bien sûr, mais dès que j’ai un moment de libre, je prends ma plume ou mes pinceaux !
J’aimerais terminer avec ces mots très forts de Rupi Kaur à la page 200.
« mon rythme cardiaque s’accélère
à l’idée d’accoucher de poèmes
c’est pourquoi je n’arrêterai jamais
de m’ouvrir pour les concevoir
faire l’amour aux mots
est si érotique
j’ai pour l’écriture soit de l’amour
soit du désir sexuel
soit les deux. »
Je la comprends totalement. On met sa chair et son sang dans la conception, la gestation et l’accouchement d’une œuvre, qu’il s’agisse de poèmes, de dessins ou de peintures. Le processus créatif, éternel mystère pour soi et les autres, est toujours un acte de désir et d’amour fous.
Merci beaucoup à Sabine Rolland de nous avoir livré son expérience sur cette traduction !