Marguerite Duras aurait eu cent ans aujourd'hui

DurasMarguerite Duras est aujourd’hui l’un des auteurs les plus étudiés et les plus lus au monde. C’est aussi la plus jeune des trois femmes de lettres choisies par Sophie Carquain dans son livre Trois filles et leurs mères. Née le 4 avril 1914, Duras partage en effet un point commun avec Beauvoir et Colette : celui d’avoir une mère très (trop ?) présente. Si Sophie Carquain a choisi d’étudier les relations de Marguerite Duras avec sa mère, Marie Donnadieu, c’est avant tout parce qu’elle aime énormément cet écrivain. Elle évoque d’ailleurs dans Trois filles et leurs mères sa rencontre avec Duras, par la lecture du roman Un barrage contre le Pacifique. En voici un extrait, pour fêter ce centenaire dignement.

C’était l’été 1980, celui de mes seize ans, l’âge de Suzanne, la fille du Barrage contre le Pacifique. Cet été-là, mes parents avaient loué une maison à Argelès-sur-mer, au bord de l’Atlantique. Une résidence sonore, qui laissait passer les gronderies des mères, les cris des enfants. Je m’ennuyais – comme toutes les adolescentes du monde, avec une sorte d’acharnement silencieux. Humeur gentiment dépressive. J’avais le sentiment de me cogner contre une vitre. La fin d’un cycle. L’an prochain, c’est certain, je partirai sac au dos.

Toujours, tout le temps, réveillée avant les autres, que ça soit en vacances, pendant l’année, ce petit sommeil que les « bons dormeurs » envient aux mauvais coucheurs, eux qui y voient une forme de malédiction. Réveil au petit matin, cernes, première promenade pieds nus sur le sable, premier bain de mer, et puis – la plus belle des plages ne pouvant donner que ce qu’elle est – retour, ennui, livres, désir d’écrire, sans m’y mettre vraiment. J’attendais une rencontre.

Cette rencontre a eu lieu au marché. Je m’en souviens avec la force d’une déflagration amoureuse. Je me souviens même, quelques décennies plus tard, de ce que je portais : un genre de salopette rayée à la mode des années quatre-vingt. C’était un petit marché, minuscule. Il n’y avait qu’un vendeur de fruits et légumes, un marchand de fromages de brebis avec de la confiture de cerises noires, un étal de pains d’épices et miel. Et, sur une petite table de camping bringuebalante, quelques livres cornés et défraîchis. Dans la pile de Guy des Cars, de Barbara Cartland, de manuels sur l’astrologie, de grands classiques édités à la NRF, soudain, un petit livre bleu me fait de l’oeil. Le titre ne m’émoustille pas : Un barrage contre le Pacifique, n’est-ce pas le titre d’un roman de guerre ? Je déteste les films de guerre et les westerns. Je comprendrai plus tard qu’il y est question d’une guerre bien plus intime, un de ces huis clos suffocants que j’affectionne. Mais je ne le sais pas encore.


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