5 questions à… Nina George

Nina GeorgeNos lectrices Charleston ont adoré La Lettre oubliée, de Nina George. Jean Perdu est en effet un personnage terriblement attachant ! Elles ont pu poser quelques questions à l’auteur. Découvrez dès à présent l’interview de Nina George !

Ce roman est-il inspiré de faits réels ? Avez-vous rencontré un libraire tel que Mr Perdu ?
Oui et non. Je suis souvent tombée sur des livres qui avaient le pouvoir de guérir certaines personnes – d’un chagrin d’amour, de l’oubli de ce qui est véritablement important dans la vie ou de la lâcheté, par exemple. Il y a aussi des personnes qui portent en eux les « livres de leur vie » – des ouvrages qui les ont influencés, changés ou motivés. Mais Jean Perdu est plutôt un mythe. Une sorte d’être idéal, associé à une culture littéraire inépuisable et à un grand savoir sur leurs pouvoirs cachés. Quand j’étais jeune, j’allais à la bibliothèque tous les mercredis et j’en revenais les bras chargés de cinq romans. Nous n’avions pas le droit d’en prendre davantage. Gentiment, la bibliothécaire fermait les yeux quand j’empruntais des romans pour adultes. À chaque fois que je soulevais la couverture d’un livre, c’était comme si j’ouvrais une porte donnant sur un monde rempli de secrets infiniment importants, précieux, merveilleux. Des secrets qui pouvaient aussi s’avérer dangereux – parfois, j’avais peur de ce qu’un livre pourrait me révéler, des illusions qu’il pouvait m’enlever.
Les personnes qui ne lisent pas ne m’inspirent pas confiance. Je crains toujours qu’elles ne soient pas suffisamment patientes envers leurs congénères, qu’elles ne soient pas vraiment capables d’empathie. Mais peut-être que ça aussi, ce n’est qu’une histoire?

Pourquoi avoir choisi de placer une partie de votre roman en Provence ? Est-ce une région que vous aimez particulièrement ?
C’est la Provence qui m’a aidée après la mort de mon père. Durant la première année qui a suivi son décès, j’étais comme gelée intérieurement. Il avait été mon meilleur ami, mon miroir. J’avais un profond besoin de chaleur, de lumière, d’un paysage dans lequel je pourrais dégeler. Je voulais me perdre et me retrouver dans le sud. J’aime beaucoup la région du Lubéron et du Vaucluse, et j’ai trouvé une grande paix à Sanary sur Mer. À Mazan, mon mari et moi avons même déniché un endroit qui sert désormais de cadre à la série de polars noirs que nous écrivons ensemble. Mais j’aime surtout la Provence hors-saison! (rires)
Pourtant, c’est ailleurs que je me sens vraiment chez moi: en Bretagne, dans le Finistère. Nous habitons désormais à Concarneau, c’est d’ailleurs ici que se déroulera une partie de mon prochain roman.

Auriez-vous aimé posséder une pharmacie littéraire ?
Oh OUI! À tout prix! J’aimerais beaucoup être une « pharmacienne littéraire ». Quand je participe à des signatures, je m’autorise parfois le plaisir de rédiger des « ordonnances » à des visiteurs, dans lesquelles je leur « prescris » des ouvrages pour soigner les maux de l’âme. Malheureusement, je crains que mon répertoire médical ne soit bien plus restreint que celui de Jean Perdu. Il a près de 30000 histoires dans la tête. Moi, j’en ai 3000, 3500 tout au plus, bien que j’aie lu près de 8000 livres au cours des 32 dernières années – j’ai quarante ans maintenant. En moyenne, un être humain a le temps de lire 2500 à 5000 ouvrages au cours d’une vie. Je suis une dévoreuse de livres. J’en ai besoin pour respirer. Mais j’ai du mal à me souvenir de leur titre – je me rappelle plus facilement le nom d’un personnage principal de l’intrigue que celui de son créateur.

Comme Jean, pensez-vous que les mots savent guérir les maux ?
Oui. Les mots, les histoires, la mélodie, le rythme, le son caché d’une langue, qu’il s’agisse de poèmes, de romans ou de dialogues : ils soignent les maux de l’âme et je sais que certains mots ont le pouvoir de détendre ou de motiver le corps de manière détournée – par la musculature, les hormones, les battements de cœur, la concentration. Le psychologue Mihaly Czikzentmihalyi, qui a élaboré la théorie du « Flow », considère que la lecture est la seule activité au monde qui mobilise simultanément les sept facteurs capables de susciter l’euphorie. Je ne connais pas ces sept facteurs par cœur, mais les personnes qui s’adonnent avec intensité à la lecture connaissent bien ce phénomène : l’intégralité du moi, l’être tout entier – corps, esprit, sentiments – s’accorde pour créer une caisse de résonance unique. Les souvenirs, les associations, les sentiments, les rires, les larmes, les images, cette capacité à s’éloigner de la réalité : toutes ces choses agissent sur nous pendant que nous lisons. Lire, c’est faire une cure hors du quotidien et décupler ses émotions. Et puis, une personne qui lit pendant 5 minutes est plus détendue qu’une personne qui se contente de regarder le vide pendant 5 minutes. Morale de l’histoire : mettez davantage de livres dans les hôpitaux !
Cependant : nous sommes des êtres pour lesquels le langage semble se situer tout près de l’âme. Je dis « semble, » parce que nous sommes habitués à parler pour nous faire comprendre ou pour nous sentir compris. Nous nous servons beaucoup plus fréquemment de mots que d’actions pour nous exprimer, et c’est dommage. Nous disons que nous aimons au lieu de l’exprimer d’une autre manière ; nous voulons entendre que nous sommes aimés au lieu de voir que l’autre nous exprime depuis longtemps son affection de façon muette. Nous mentons verbalement, nous nous expliquons, nous fréquentons des « thérapies de parole ».
Vous voyez : je sais et j’apprécie que les mots nous touchent, qu’ils nous influencent et puissent nous guérir. Cependant, je souhaiterais parfois que nous – un « nous » que j’entends comme un « Moi » – soyons capables de ressentir davantage que de penser. Que nous comprenions et acceptions davantage le langage de la nature, des corps, des sens.
Deux âmes cohabitent dans ma poitrine. D’une part, celle de la narratrice, qui sait exactement quelles touches du clavier lui permettront d’activer des émotions. D’autre part, celle de la chercheuse en quête d’un langage qui se situerait en-deçà des mots pour s’exprimer et comprendre les autres.

Reverrons-nous Jean Perdu dans un prochain roman ?
Je ne pense pas, non. Chaque personnage nécessite et mérite son histoire particulière – tout comme le personnage principal de mon prochain roman, Henri, un reporter de guerre breton. Comme, aussi, l’héroïne de mon dernier roman, « Die Mondspielerin », qui se déroule également à Pont-Aven, Kerdruc et Concarneau, et qui décrit comment une sexagénaire cherche sa véritable place dans le monde. J’avais fait en sorte que Marianne fasse une apparition dans l’une des premières versions de l’histoire de Jean Perdu, dans le bistro breton de la rue Montagnard (une rue imaginaire, bien entendu, à laquelle j’ai donné le nom de mon fromage favori…) Mais cela ne fonctionnait pas. Chaque personnage a besoin de sa place bien à lui, son propre espace. Cela dit, j’ai tout de même pérennisé Jean dans une nouvelle, « Das Glasmesser, » destinée à une anthologie germanophone (« Weihnachtsherzen », chez l’éditeur Rohwolt). L’histoire se passe le 24.12.2007, Jean a 42 ans, il est donc en plein dans sa phase de retrait du monde. Dans un rêve profond, il « tombe » d’un livre à l’autre, erre dans des histoires comme « Au cœur des ténèbres » ou « Orgueil et Préjugés » jusqu’à ce qu’il tombe sur le livre de sa propre vie, dans une bibliothèque secrète, et qu’il y découvre que…enfin bref, ça c’est une autre histoire.

Merci à Nina George et aux Lectrices Charleston pour cette interview !

Retourner sur la fiche du livre


Dernières sorties Charleston