L'interview de Rosie Thomas sur Le Châle de cachemire

Photo Rosie ThomasRosie Thomas écrit des romans salués par les critiques et les lecteurs depuis plus de trente ans. Son dernier en date, Le Châle de Cachemire, est rapidement devenu un best-seller à Londres et s’apprête à suivre la même destinée en France. Dans cette interview, réalisée par Norah Piehl de Bookreporter.com, Rosie parle des obstacles auxquels elle a dû faire face pour respecter une véracité historique, de l’incroyable beauté de l’Antarctique et des difficultés de faire des recherches dans l’un des endroits les plus dangereux au monde.

Le Châle de Cachemire parle de deux femmes de deux générations différentes : Nerys dans les années 1940, et sa petite-fille Mair, qui vit à notre époque. L’un de ces deux personnages était-il plus facile à écrire que l’autre ? Comment avez-vous réussi à construire ces deux voix individuelles ?

Il est toujours un peu plus facile de démarrer par un personnage contemporain parce que sa langue et ses horizons sont plus familiers. J’essaie de faire très attention à ne pas faire d’anachronismes, donc, quand je trouve la voix d’un personnage d’une génération antérieure à la nôtre, j’avance lentement et je lis beaucoup de livres d’histoire et de fiction de cette période en essayant de réfléchir aux différentes attitudes morales et sociales de l’époque. Dans Le Châle de Cachemire, la grand-mère, Nerys, vient d’un milieu rural du Nord du Pays de Galles, très similaire à celui de ma propre famille, ce qui a rendu le début de l’écriture du roman un peu plus facile cette fois-ci. Arrivée à la fin de la phase d’écriture, je m’étais tellement attachée à Nerys qu’elle était presque plus réelle dans mon esprit que Mair, qui pourtant vit à la même époque que nous.

La chronologie du roman alterne aussi entre ces deux époques. Pouvez-vous nous parler des recherches historiques que vous avez effectuées pour en apprendre plus sur cette région dans les années 40 ?

J’ai beaucoup lu sur le contexte historique, principalement des mémoires de femmes durant la période du Raj (période de domination coloniale britannique du sous-continent Indien). Tout le monde pense qu’elles menaient des vies privilégiées et luxueuses avec des hordes de domestiques à leur service et qu’elles étaient libres et oisives. Bien sûr, c’est vrai en partie, mais elles étaient également isolées de leur propre culture et encore plus dépendantes des hommes et de leur statut de « femmes de » qu’elles ne l’étaient chez elles au Royaume-Uni. Elles étaient aussi séparées de leurs enfants et à la merci du climat indien. J’ai également lu des mémoires de Cachemiris, des récits sociopolitiques de l’époque et j’ai essayé de tout incorporer dans le récit sans pour autant qu’on ait l’impression de lire un cours d’histoire ! À Srinagar, j’ai parlé autant que j’ai pu avec des personnes âgées pour savoir comment se passait la vie à ce temps-là, et j’ai passé plusieurs jours à visiter la vieille ville, les jardins de Shalimar, les palais et quelques musées.

Pouvez-vous nous raconter les voyages et les recherches que vous avez faits au cours de l’écriture du roman ? Une expérience de voyage mémorable ? Et comment votre propre expérience de voyage peut-elle être comparée à celle de Mair ?

J’ai dormi sur une péniche sur le Lac Nagin, navigué en shikara, déambulé dans le bazar, je me suis assise dans les vieux jardins et ai vraiment essayé de me plonger dans la vie de cette ville. Parfois, je fermais les yeux pour essayer d’oublier les bruits des embouteillages, la pollution, les machines, etc… Et imaginer à quoi la ville ressemblait dans les années 1940. Je dois dire que me promener et voir ce que j’avais besoin de voir n’a pas toujours été simple. La famille qui m’a accueillie sur la péniche était musulmane et traditionnelle et ils étaient réticents à l’idée de laisser une femme étrangère partir seule dans certains quartiers de la ville considérés comme « dangereux », du moins sans l’un de leurs fils ou frères pour m’accompagner.

J’ai néanmoins pu rencontrer les tisserands, fileurs, teinturiers et brodeurs qui fabriquent les châles (ce sont tous des hommes) dans leurs ateliers et ils ont fait preuve d’une grande générosité en m’accordant du temps et en me parlant de leurs métiers. J’ai tant appris sur la confection et la vente des châles, et les traditions qu’ils représentent. Mais pour y parvenir, j’ai dû m’armer de patience et de persévérance. Le Cachemire ne m’a pas semblé être un endroit dangereux, mais il y a beaucoup de violence qui bouillonne sous la surface. Une nuit, il y a eu une coupure de courant et des coups de feu ont retenti dans le bazar de l’autre côté du lac. J’étais allongée dans le noir sur la péniche en pensant « Qu’est-ce que je fais ici alors que je pourrais être dans mon lit chez moi ? ». Mais, pendant tout le reste de mon séjour, j’ai trouvé que Srinagar était un lieu d’une beauté envoûtante et l’un des endroits les plus fascinants et mystérieux que j’aie jamais visité.

La région sur laquelle vous avez écrit a une histoire politique et culturelle difficile. Pourquoi avez-vous choisi d’écrire sur cette région ? Comment le fait d’écrire sur le Cachemire a changé votre perception de cet endroit ?

Je suis partie en trek dans les hautes vallées du Zanskar en Himalaya, une région bouddhiste dans l’Est de ce qui est aujourd’hui l’Etat Indien du Jammu-et-Cachemire. Au même moment, je prévoyais d’écrire un roman sur ce que veut dire le « foyer », dans le contexte des missionnaires chrétiens Gallois partis en Inde dont faisaient partie certains de mes ancêtres. Là, j’ai découvert le versant Est du commerce des châles, les chèvres de montagnes sur les plateaux tibétains qui fournissent le duvet de cachemire pour les pashminas. J’ai rencontré les éleveurs et visité les usines de traitement du duvet et j’en ai appris un peu plus sur la fabrication des châles. C’est à ce moment-là que j’ai senti ce frisson me parcourir, ce moment où l’on sait que l’on a trouvé une grande histoire. Un châle comme élément central d’une histoire familiale secrète ! Les amis avec qui j’étais sont repartis, mais j’ai loué une Jeep et un chauffeur et ai traversé l’Himalaya jusqu’à la Vallée du Cachemire, en m’arrêtant dans l’extraordinaire monastère de Lamayuru en chemin. C’est le même voyage qu’effectue Nerys dans le roman, sauf qu’elle le fait à cheval, bien sûr. Il n’y avait pas de route avant la guerre et, même aujourd’hui, c’est juste un chemin de terre qui ressemble plus à un lit de rivière asséché qu’à une route.

Écrire sur cette région a changé du tout au tout ma compréhension du conflit au Cachemire. La réalité est que personne n’a tort ou raison, et les racines du problème remontent très loin dans l’histoire. (Les Britanniques n’y ont pas joué un rôle admirable.) Plus important encore, il n’existe pas de réponse immédiate à ce problème. Un Azad Cachemire indépendant représente peut-être un idéal magnifique, mais il est difficile de voir comment cela pourrait fonctionner.

Il y a une galerie de mes photos personnelles du Cachemire sur mon site internet : rosiethomasauthor.com

Vos précédents romans se déroulaient à Bali, en Antarctique, en Grèce et au Caire, entre autres lieux. Sur lequel de ces lieux avez-vous eu le plus de difficultés à écrire ? Avez-vous un préféré ?

J’ai préféré l’Antarctique. C’est d’une beauté époustouflante et c’était difficile de le décrire à sa juste valeur, sans parler de rendre justice à de tels paysages. J’y ai passé un mois, je vivais dans un centre de recherche scientifique bulgare (parce qu’ils avaient généreusement accepté de m’accueillir) pour Sun at Midnight. Cet environnement, isolé et confiné, était le décor idéal pour un roman. Personne ne peut partir, personne n’arrive, et les personnages n’ont pas d’autre choix que de régler leurs problèmes entre eux. Le Caire était l’exacte opposée. J’avais du mal à me concentrer sur l’intrigue originale sans me laisser distraire par toute l’histoire et les différentes cultures de ce lieu. La chaleur, la foule et… encore une fois… Ce n’est pas évident pour une femme voyageant seule. J’espère que l’essence de la ville ressort bien dans Iris and Ruby, car il y a tant de choses que je n’ai pas pu écrire, tout simplement parce qu’il y avait tellement de choses à dire. En comparaison, une île grecque (La femme sans passé) et Bali (Constance) étaient bien plus aisées à décrire. J’aime les îles pour leur confinement, leur géographie délimitée, leur identité forte. Tous ces éléments créent un décor vivant et permettent à l’auteur de l’assimiler rapidement.

Comment choisissez-vous les lieux dans lesquels se déroulent vos romans ? L’histoire vient-elle en premier, ou le lieu ?

J’adore voyager, je me sens à la fois exposée et hyper consciente de ce qui m’entoure lorsque je voyage. C’est très bénéfique lorsqu’on essaie de visualiser et d’imaginer des histoires. Même quand je ne travaille pas sur un roman, où que j’aille, je prends énormément de notes et de photos, juste au cas où j’en aurais besoin à l’avenir. Je rentre tout juste d’un voyage au Bhoutan où c’est précisément ce que j’ai fait (il y a des photos sur mon site internet). Je voyage donc afin de générer des idées et, au cours de l’écriture du roman, j’ai souvent besoin de voyager plus pour compléter mes recherches. C’est un peu comme l’histoire de l’œuf et de la poule, on ne peut pas dire ce qui vient en premier. Par exemple, j’étais en Syrie il y a deux ans et je pensais à l’aventurière britannique, arabisante et espionne, Gertrude Bell, et je me demandais comment raconter une histoire en lien avec elle. Mais, maintenant, tout a changé en Syrie, bien sûr, alors un nouveau roman devrait aller dans une autre direction. Pour l’instant, c’est en suspens…

Avez-vous toujours considéré un châle comme un élément important de l’histoire ?

Ce n’est pas la première chose qui me soit venue (voir plus haut). Mais dès que j’ai entendu parler de la fabrication et du commerce des châles, j’ai tout de suite su que ce serait le motif central du roman. En tant qu’auteur, je n’ai pas eu beaucoup de cadeaux comme celui-ci.

De nombreux lecteurs seront surpris, en découvrant vos romans, d’apprendre que vous êtes l’un des auteurs les plus vendus au Royaume-Uni depuis des années. Quels autres auteurs anglais souhaiteriez-vous faire découvrir ?

Je sais qu’il y a toute une nouvelle génération de jeunes auteurs dont les romans sont désormais disponibles en numérique, soit parce qu’ils sont publiés par des maisons d’édition reconnues, de plus petites maisons ou par le biais de l’autopublication. Je souhaite qu’ils continuent d’écrire et de se faire connaître, et que les lecteurs continuent d’aimer les bonnes histoires, qu’importe la forme dans laquelle ils choisiront de les acheter. .

Pourriez-vous nous dire sur quoi vous travaillez en ce moment ? Quels autres lieux exotiques espérez-vous découvrir dans votre fiction (et/ou votre vie réelle) ?

Je suis un peu superstitieuse quant il s’agit de parler de mes projets en cours. Je dirais simplement que je suis plongée dans la première partie d’une saga en deux parties sur une famille de théâtre qui se déroule entre les années 1880 et 1944.

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